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La formation d'Anne Saint-Girons ne la prédestinait pas vraiment à devenir peintre, mais plutôt conservatrice de musée. C'est en effet à l'école du Louvre qu'elle s'est formée, ce qui aurait dû l'amener vers une carrière tout entière vouée à l'étude, au classement, au regard sur le passé, voire à l'organisation de compilations savantes. Mais depuis toujours, elle dessinait, elle peignait. Et il y eut un moment où la vocation, la passion, fut la plus forte. 

La série qui nous intéresse, « LES LIENS », marque son accession à une certaine visibilité, que beaucoup ont déjà repérée, et qui lui a valu plusieurs expositions, en province et à Paris.

 

Beaucoup ont en effet remarqué ces tableaux aux couleurs vives, sur les réseaux sociaux et ailleurs, et ont été intrigués certainement par leur originalité. Des corps de femmes,  essentiellement, s'y montrent dans une sérénité apparente. Le titre de la série, « LES LIENS », dit assez l'intention d'Anne Saint-Girons, qui est de montrer une certaine forme d'attraction entre les corps des mères et des filles, des amies entre elles, voire des amantes.

Cette peinture d'une sororité chaleureuse, si ce n'est charnelle, pourrait nous faire penser aux débuts de la représentation intimiste du corps féminin, à la fin du XIX° siècle, quand les peintres ont abandonné les sujets mythologiques, ou historiques, pour enfin se consacrer à l'humain, le proche, la femme, la fille, l'amante. Ce moment où la peinture commence aussi à se séparer de la mimésis, , qu'elle soit sélective ou non, chère aux plasticiens depuis Aristote, et où les peintres commencent à peindre ce qui finalement les a toujours le plus intéressé, c'est à dire la lumière, le jeu des constrastes et des accords de couleur ; le détail ; l'intimité – et pourquoi pas l'intériorité.


Quand d'ailleurs Anne Saint-Girons s'exprime, c'est tout de suite vers cette époque que ses paroles la dirigent, la fin du XIX°, où les peintres et les écrivains, dans la foulée de Baudelaire et de Delacroix, approfondissent vraiment ce dialogue qu'ils ne quitteront plus. Ce dialogue, mais aussi ces incompréhensions, quand Zola par exemple, reproche à Cézanne, dans « L'OEUVRE », d'avoir raté le coche, et de ne pas être devenu finalement le Zola de la peinture, peignant le peuple, le monde des idées, le ferment de la révolte.

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Anne Saint-Girons aurait pu vivre à la charnière du XIX° siècle et du début du XX°, et elle aurait côtoyé Odilon Redon, dont elle aurait apprécié la plongée dans la psyché humaine, ou bien Gustave Klimt, à qui elle aurait comparé sa palette si riche, ou Tamara de Lempika, dont l'élégance et les drapés aériens lui auraient dit quelque chose, mais aussi Stephan Zweig, Marcel Proust, Sigmund Freud, tous ces explorateurs en eaux profondes, en eaux troubles.

Quand on regarde bien ses tableaux, pourtant, aucun doute qu'elle peint au début du XXI° siècle, et que le pop art et les dynamiteurs du graphisme sont passés par là.

 

Dans ces corps allongés, peints avec réalisme, combien d'entorses pourtant au réalisme des couleurs !

Combien d'effets de trames, de points, de fantaisies de l'imprimé ! Ce serait comme un enfant caché d'Andy Warhol avec les graphistes français du groupe Bazooka, qui dans les années 80-90 avaient entrepris de révolutionner l'illustration de presse, la bande dessinée, en la sortant d'une certaine sagesse, pour ne pas dire d'une certaine paresse.

Et c'est bien ce qui retient toute notre attention dans la peinture d'Anne Saint-Girons : ce mélange de réalisme, de justesse dans la représentation des corps, voire de sensualité, avec une palette de couleurs et de modes qui sont quasiment en contradiction avec la douceur, la sensualité, la féminité. Ces corps de femmes sont alanguis, sont rayonnants, mais pourquoi ces verts, ces roses fuschias, pourquoi ces effets de trames et de hachures ? Comme si après les années sombres que nous avons connu, il fallait cette explosion de couleur, de chaleur, pour retrouver le goût de vivre ? Comme si dans chaque lien, dans chaque relation humaine, il y avait une part incompressible d'ambiguïté ?

Mais laissons là l'interprétation.

​

Ce qui nous attache à la peinture d'Anne Saint-Girons, c'est cette combinaison nouvelle, qu'elle a réussie, entre le réalisme de la représentation graphique d'une part, et la pure pictorialité dans son traitement des couleurs et des textures, d'autre part. La représentation du corps humain, des relations humaines, peut alors prendre tout son sens : elle est montrée à l'intérieur de cet art, la peinture, qui ne cesse, depuis les portraits du Fayoum, d'osciller entre le souci de fixer un instant d'étincelle dans le regard d'un être, et l'envie de dire par la couleur, par le traitement des surfaces, encore autre chose. Et cet autre chose, s'il appartient en propre à l'artiste, est aussi à la portée du regardeur. 

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 Xavier Malbreil

La formation d'Anne Saint-Girons ne la prédestinait pas vraiment à devenir peintre, mais plutôt conservatrice de musée. C'est en effet à l'école du Louvre qu'elle s'est formée, ce qui aurait dû l'amener vers une carrière tout entière vouée à l'étude, au classement, au regard sur le passé, voire à l'organisation de compilations savantes. Mais depuis toujours, elle dessinait, elle peignait. Et il y eut un moment où la vocation, la passion, fut la plus forte. 

La série qui nous intéresse, « LES LIENS », marque son accession à une certaine visibilité, que beaucoup ont déjà repérée, et qui lui a valu plusieurs expositions, en province et à Paris.

 

Beaucoup ont en effet remarqué ces tableaux aux couleurs vives, sur les réseaux sociaux et ailleurs, et ont été intrigués certainement par leur originalité. Des corps de femmes,  essentiellement, s'y montrent dans une sérénité apparente. Le titre de la série, « LES LIENS », dit assez l'intention d'Anne Saint-Girons, qui est de montrer une certaine forme d'attraction entre les corps des mères et des filles, des amies entre elles, voire des amantes.

Cette peinture d'une sororité chaleureuse, si ce n'est charnelle, pourrait nous faire penser aux débuts de la représentation intimiste du corps féminin, à la fin du XIX° siècle, quand les peintres ont abandonné les sujets mythologiques, ou historiques, pour enfin se consacrer à l'humain, le proche, la femme, la fille, l'amante. Ce moment où la peinture commence aussi à se séparer de la mimésis, , qu'elle soit sélective ou non, chère aux plasticiens depuis Aristote, et où les peintres commencent à peindre ce qui finalement les a toujours le plus intéressé, c'est à dire la lumière, le jeu des constrastes et des accords de couleur ; le détail ; l'intimité – et pourquoi pas l'intériorité.


Quand d'ailleurs Anne Saint-Girons s'exprime, c'est tout de suite vers cette époque que ses paroles la dirigent, la fin du XIX°, où les peintres et les écrivains, dans la foulée de Baudelaire et de Delacroix, approfondissent vraiment ce dialogue qu'ils ne quitteront plus. Ce dialogue, mais aussi ces incompréhensions, quand Zola par exemple, reproche à Cézanne, dans « L'OEUVRE », d'avoir raté le coche, et de ne pas être devenu finalement le Zola de la peinture, peignant le peuple, le monde des idées, le ferment de la révolte.

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Anne Saint-Girons aurait pu vivre à la charnière du XIX° siècle et du début du XX°, et elle aurait côtoyé Odilon Redon, dont elle aurait apprécié la plongée dans la psyché humaine, ou bien Gustave Klimt, à qui elle aurait comparé sa palette si riche, ou Tamara de Lempika, dont l'élégance et les drapés aériens lui auraient dit quelque chose, mais aussi Stephan Zweig, Marcel Proust, Sigmund Freud, tous ces explorateurs en eaux profondes, en eaux troubles.

Quand on regarde bien ses tableaux, pourtant, aucun doute qu'elle peint au début du XXI° siècle, et que le pop art et les dynamiteurs du graphisme sont passés par là.

 

Dans ces corps allongés, peints avec réalisme, combien d'entorses pourtant au réalisme des couleurs !

Combien d'effets de trames, de points, de fantaisies de l'imprimé ! Ce serait comme un enfant caché d'Andy Warhol avec les graphistes français du groupe Bazooka, qui dans les années 80-90 avaient entrepris de révolutionner l'illustration de presse, la bande dessinée, en la sortant d'une certaine sagesse, pour ne pas dire d'une certaine paresse.

Et c'est bien ce qui retient toute notre attention dans la peinture d'Anne Saint-Girons : ce mélange de réalisme, de justesse dans la représentation des corps, voire de sensualité, avec une palette de couleurs et de modes qui sont quasiment en contradiction avec la douceur, la sensualité, la féminité. Ces corps de femmes sont alanguis, sont rayonnants, mais pourquoi ces verts, ces roses fuschias, pourquoi ces effets de trames et de hachures ? Comme si après les années sombres que nous avons connu, il fallait cette explosion de couleur, de chaleur, pour retrouver le goût de vivre ? Comme si dans chaque lien, dans chaque relation humaine, il y avait une part incompressible d'ambiguïté ?

Mais laissons là l'interprétation.

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Ce qui nous attache à la peinture d'Anne Saint-Girons, c'est cette combinaison nouvelle, qu'elle a réussie, entre le réalisme de la représentation graphique d'une part, et la pure pictorialité dans son traitement des couleurs et des textures, d'autre part. La représentation du corps humain, des relations humaines, peut alors prendre tout son sens : elle est montrée à l'intérieur de cet art, la peinture, qui ne cesse, depuis les portraits du Fayoum, d'osciller entre le souci de fixer un instant d'étincelle dans le regard d'un être, et l'envie de dire par la couleur, par le traitement des surfaces, encore autre chose. Et cet autre chose, s'il appartient en propre à l'artiste, est aussi à la portée du regardeur. 

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 Xavier Malbreil

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